Le média web des enjeux sociétaux | Comprendre aujourd'hui pour défier demain

Molière est-il drôle à 12 ans ?

Quand certains s’émeuvent d’un appauvrissement de la langue, une question demeure : notre façon d’apprendre le français donne-t-elle envie… de lire ?

« Ma cassette, ma cassette ! » ce cri du cœur d’un Harpagon désemparé, croyant ses craintes d’être dépouillé enfin réalisées, fera sourire plus d’un. Que ce soit souvenir d’une lecture, d’un soir au théâtre ou des yeux furieux d’un De Funès au meilleur de sa forme, cet épisode est pour beaucoup une des raisons de dire que Molière est drôle, sinon hilarant, et doit rester la base de notre apprentissage du français à l’école. Mais l’est-il vraiment ?

Dans un XXIe siècle caractérisé par les écrans, par la transformation extrêmement rapide de l’environnement de vie, un enfant ou un jeune adulte peuvent-ils se retrouver dans un texte vieux de plus de trois siècles ?

Si ces prémices sont volontairement provocatrices, il ne s’agit pas ici d’arguer pour une disparition de Molière du cursus scolaire mais bien d’interroger le cheminement de l’apprentissage de la langue et de manière plus simple de savoir quand proposer un auteur à l’étude selon l’âge des écoliers, collégiens et lycéens.

Les classiques, les classiques !

« Un classique est un livre que tout le monde voudrait avoir lu et que personne ne veut lire » écrivait Mark Twain. La phrase est volontairement caustique mais dans un pays où les Mémoires d’Outre-Tombe sont encore régulièrement proposées aux élèves, difficile de ne pas sourire à cette évocation qui ferait de la difficulté de lecture, ou dans certains cas la taille de l’ouvrage, un marqueur culturel particulièrement important.

Qui aujourd’hui au fil de sa vie quotidienne se trouve penaud devant une évocation incomprise de Charlus ou de Sganarelle ? Plutôt que d’un manque de culture c’est de pédanterie que sera qualifié cette attitude. La littérature est un plaisir, les œuvres de Molière, Proust, Chateaubriand et bien d’autres sont des monuments de la pensée et de la diversité que peuvent offrir les mots, mais encore faut-il pouvoir les comprendre et surtout les apprécier.

En continuant de proposer des textes volontairement abscons au nom d’un humanisme culturel ancré dans une société pré-image, nous ne faisons qu’assurer que les élèves aient une mauvaise expérience de la lecture et au regard de la multiplicité des offres de divertissement existantes, s’en détournent durablement.

La littérature française vaut plus que 10 œuvres

Quand on se penche sur l’apprentissage du français, il est intéressant de voir la fracture entre l’apprentissage du Français Langues Etrangères (le français appris comme langue secondaire) et l’apprentissage fait à l’école. Là où l’éducation nationale semble avoir stagné dans son approche, le FLE, confronté à une nécessité de garder ses élèves, fait constamment évoluer ses techniques et surtout les œuvres que ceux-ci conseillent.

Ainsi la place est faite aux œuvres plus contemporaines, plus simples à lire sans jamais être pauvres, qui font la place belle à l’intrigue. Et sur ce point la littérature française ne manque pas de grands noms. Si nous devons garder le tropisme français citons Evelyne Brisou-Pellen, une des plus grandes autrices d’une littérature qui n’a de jeunesse que le nom, ou encore René Barjavel, un des pères de la science-fiction, Maurice Leblanc et son Arsène Lupin ou George Simenon et son Maigret.

Faire aimer la lecture c’est d’abord découvrir cette expérience unique de vouloir à tout prix connaître la suite de l’histoire.

On peut être dévoré sans pour autant obligatoirement tomber dans la case « livre de gare » et de nombreux professeurs en ont déjà fait l’expérience.

Accepter la gradation

Il n’est pas nécessaire d’aller aux extrêmes, de proclamer la mort de la lecture au profit d’un apprentissage multi-média du français, appuyé sur des formats courts et des vidéos, mais il est probablement nécessaire, pour ceux qui aiment la langue, de s’interroger sur le processus qui leur a fait découvrir cette caverne aux trésors qu’est le livre.

Était-ce une analyse partielle d’un texte non lu à l’école, ou une rencontre fortuite avec une œuvre découverte au hasard d’une bibliothèque ou d’un ami ? Pour répondre à la question première oui bien sûr Molière est drôle, ou du moins peut l’être pour nombre d’entre nous, mais il a été écrit pour faire rire les adultes, pour offrir une satire profonde de la société des adultes.

Acceptons qu’avant de le comprendre pleinement, nous puissions avoir besoin d’apprendre à aimer lire.

 

Quentin Capelle

Partagez ce contenu via ...

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *