En occident, nous avons la chance de vivre dans des pays avec un accès quasiment libre à l’art et la culture, il n’en est pas de même pour des pays comme l’Afghanistan, qui s’est vu récemment retombé sous le joug d’un des pires groupes gouvernants des Talibans. Comment l’art et la culture continuent ils à vivre dans un pays où l’obscurantisme règne ?. Voilà la question à laquelle nous nous proposons de répondre.
L’état de lieux historique
L’Afghanistan, pays au carrefour de l’Europe centrale avec plus de 5000 km de frontière (Iran, Pakistan, Tadjikistan et même la Chine), Pays riche historiquement par son positionnement géostratégique entre la Perse et l’Inde, pays riche culturellement par la civilisation mongole et le bouddhisme ainsi que par l’ abondance de ses terres en pierre précieuses, énergie fossile telle que le gaz naturel.
Mais c’est aussi un pays qui a beaucoup souffert, en particulier depuis un siècle où il n’a connu que conflit sur conflit, puis guerre de religion pour finir par un régime islamiste des plus durs.
Depuis l’assassinat de son dirigeant, Habibullah Khan en 1919, pas moins de 13 chefs d’états de ce pays ont soit été déposés, soit assassinés, soit renversés. Conséquence de ces conflits intérieurs, des occupations et des régimes islamiques successifs, la culture et les artistes ont payé un lourd tribut. La pause de 20 ans, suite à l’intervention de l’OTAN et l’installation d’un régime démocratique, a permis un réveil culturel et de nombreux artistes sont apparus.
Depuis le retour des Talibans au pouvoir, bon nombre d’artistes ont fuis le pays afin de continuer d’exercer leurs arts en toute sécurité et liberté, dans le monde occidental.
Y a t il encore moyens pour les artistes de rester au pays et continuer leur profession artistique ?
Si certains artistes ont préféré fuir le pays, d’autres en revanche ont décidé de rester et de rentrer en résistance, c’est le cas de Shamisa Hassani graffeuse afghane :
Cachées sous leurs burqas bleues, les femmes qu’elle imagine sont insoumises. Les œuvres de cette jeune Afghane de 33 ans, surnommée la « Banksy afghane », première artiste de graffiti de son pays et enseignante d’art à la faculté des beaux-arts de Kaboul, sont fortement relayés sur les réseaux sociaux. Notamment car ils mettent en scène l’oppression que les talibans exercent sur la population, et plus spécifiquement sur les femmes.
Elles sont d’ailleurs les plus touchées, avec la volonté claire du régime islamiste qui a ordonné leur suppression, lors de diffusion de séries ou documentaires télévisuels, d’ailleurs ces derniers n’hésitent pas à les baptiser les diablesses ou pire encore les tentatrices du mal.
Du côté du 7ème art, l’Ariana attend de connaître son destin. Ce cinéma mythique, ouvert depuis 1963, a dû fermer ses portes depuis l’arrivée des Taliban hostiles à l’art et à la culture. Ce cinéma au cœur de Kaboul tente par l’intermédiaire de ses employés de rester ouvert malgré l’arrêt des projections par le pouvoir en place.
Quant aux autres artistes qui sont restés, ils pratiquent leur art à l’abri des regards reclus chez eux, sans pouvoir la présenter aux autres. Dans cette volonté du régime de faire disparaitre l’art, une des dernières mesures a été d’interdire la musique dans les bars.
L’art et les artistes sont clairement des cibles privilégiées du régime.
Quel avenir pour l’art et la culture en Afghanistan ?
L’avenir de ce territoire, s’annonce des plus incertains. L’enfoncement dans l’islamisation des pratiques et des comportements qui vont s’imposer à la population risque de se superposer à une crise économique grave. L’ONU n’a de cesse d’alerter la communauté internationale, sur l’immense crise humanitaire qui risque très prochainement d’arriver.
Malgré le fait que l’Afghanistan soit un pays, aux ressources conséquentes et multiples, il manque cruellement de moyens structurels et financiers liés aux diverses instabilités liés au terrorisme intérieur qui s’oppose au régime Taliban en place, notamment par l’EI-K. Cette branche de l’Etat islamique en Afghanistan a revendiqué le double attentat-suicide commis à l’aéroport de Kaboul le 26 août, et ayant fait au moins 85 victimes.
Au cours des derniers mois, la pression sur les artistes s’est accentuée : attentats, menaces, assassinats … L’assassinat, fin juillet, de l’humoriste Khasha Zwan, dans sa région de Kandahar, puis celui, fin août, du musicien traditionnel Fawad Andarabi, dans sa vallée d’Andarab, ont montré aux artistes que la seule issue crédible pour leur survie était l’exil.
La préservation des derniers vestiges patrimoniaux que ce pays bénéficie mérite toute l’attention internationale. Nous constatons que le régime qui a pris le pouvoir cet été semblerait être « plus » sensible à la préservation de leur patrimoine nationale. Position à l’opposé de celle d’il y a 10 ans mais qui mérite d’être citée et sera regardée si elle dure dans le temps.
Le récent reportage sur le site des Bouddhas dynamités en 2001 témoigne de cette nouvelle position des talibans, à confirmer.
Dans un tel contexte l’art et la culture si attaqués de l’intérieur doivent miser sur des soutiens internationaux à commencer par les grandes instances comme l’ONU ou l’OTAN, mais surtout s’appuyer sur les expatriés afghans.
Prenons quelques figures du pays : la pop star Sayeed est à Istanbul ; l’activiste Omaid H. Sharifi à Abou Dhabi ; Ahmad Naser Sarmast, fondateur de l’Institut national de musique, en Australie ; le directeur de l’archéologie du pays s’est volatilisé ; la cinéaste Sahraa Karimi est en Slovaquie ; et très récemment la grapheuse Shamsia Hassani, qui a couvert les murs de Kaboul de peintures à l’aérosol, serait partie finalement aux Etats-Unis.
La très grande majorité des artistes se sont exilés pour tenter d’une part de se sauver des persécutions locales, tout en préservant leur moyen d’expression et de lutte pour continuer à dénoncer les méfaits du pouvoir en place. La diaspora a un rôle central, fondamental pour la sauvegarde de l’art et des cultures afghanes.
Prospective
L’avenir de ce pays situé au cœur de l’Asie centrale, s’annonce des plus sombre. A moins que les politiques internationaux qui continuent comme c’est le cas en ce moment à faire pression, sur les Talibans afin de les forcer à faire respecter leurs engagements, qu’ils ont eux-mêmes signé lors de l’accord passé avec Donald Trump.
Rien n’est moins sûr, car c’est aussi en interne que cela va se jouer pour le régime Taliban, avec à résoudre la crise sociale avec la mise en place de la Charria, la crise économique et la crise militaire avec l’opposition armée et les groupes terroristes intérieurs tel que L’EIK.
La « nouvelle » stratégie misant sur une position plus « soft » des talibans sur la préservation du patrimoine national actuel notamment est un signe clair que l’art et la culture ont un rôle majeur à jouer sur le terrain de la diplomatie internationale entre les talibans et les autres pays.
Loin d’être certain et suffisant, mais force est de constater que le gouvernement en place agissant ainsi souhaite « démontrer » qu’il fait des pas « concrets » quant au respect des règlements internationaux. Leur stratégie parait claire : démontrer politiquement par ce type d’actions qu’ils vont vers un « soft power culturel » que nul n’attendait; leur permettant par des positions moins fermes que par le passé de pouvoir paraître plus modérés et pouvoir échanger voir négocier plus facilement avec des pays internationaux.
Alors est-ce que cela durera ou est-ce que cela restera une posture de façade, stratégie de circonstance ? l’avenir et les actions concrètes le démontreront.
Dans le cas de l’Afghanistan, qui du militantisme artistique afghans via la diaspora internationale dénonçant le régime ou la récente ouverture diplomatique vers la culture par les Talibans pèsera le plus ? à suivre
Cet exemple, démontre une nouvelle fois, que loin d’être négligé sur la scène internationale, l’art et la culture sont encore des moyens diplomatique puissants, reconnus pour peser dans les échanges internationaux. Et sont des piliers fort de chaque nation.
Clémence de Lambert | Linkedin
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