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MeToo & Cinéma : la réalité de la fiction

Après MeToo et ses scandales mettant en lumière les problématiques profondes et
structurelles de l’industrie culturelle, que restera-t-il une fois les projecteurs éteints ?
Le 16 mai dernier, le magazine Elle publiait un long article consacré à l’un des protagonistes
mis en cause, et longtemps protégé, illustration de l’omerta qui semble prégnante dans le
milieu du cinéma. Titré « Le producteur, les actrices et les casting…Viols, agressions
sexuelles, harcèlement… », il résumait à lui seul une situation où le pouvoir de dire NON
s’est effacé, face à la puissance de faire et de défaire, de celui ou celle qui détient un pouvoir
de nuisance tel que les conséquences d’un refus pouvaient devenir définitives pour la
carrière et la vie personnelle de l’actrice. Ces neufs témoignages concordants rappellent que
l’industrie du cinéma souffre encore d’une vision sexuée de l’individu, où le droit de cuissage
avait fini par être considéré comme un acquis, où toute personne qui accepte de prêter son
corps, sa voix à l’interprétation d’un rôle, se voit ainsi dans l’obligation d’en assumer les
conséquences dans sa vie privée.

Me Too aura-t-il le pouvoir de faire cesser ces projections ambigües, ces fantasmes
personnels transcendés en art ? « Toujours plus » viendra-t-il à rejoindre le « un peu
moins » ? Car c’est derrière cette question celle de la sexualité et de sa représentation qui
pose problème. Quand les conventions d’hier ne permettaient que la suggestion, forçaient à
se plonger dans l’art de l’ellipse, la libération des carcans réglementaires semble s’être
accompagnée d’une surenchère pour certains délétères voire morbide. Là où la fameuse
publicité de Schweppes ne montrait qu’une esquisse de sexualité et de sensualité à travers
la simple main gantée d’une femme, Bertolucci de son côté proposait le summum de
l’horreur sous couvert de recherche artistique avec le Dernier Tango à Paris et le viol de
Maria Schneider. Cette prééminence de la violence, du fantasme du regard masculin, est
justement cette normalité que MeToo cherche à faire sauter en éclats en rappelant que la
poursuite artistique n’est pas et ne peut être un blanc-seing permettant d’échapper aux
règles les plus élémentaires de la décence humaine.

Le public n’avait alors aucune considération particulière pour ces individus auxquels on
imposait de se présenter nus, d’effectuer en direct des prestations habituellement
présentées dans certaines productions classées comme érotiques ou pornographiques.
Qui pour se demander comment Valérie Kaprisky avait vécu le fait de pratiquer une fellation
sur son partenaire ? Qui pour s’interroger sur les scènes bouillantes du film L’amant, tiré du
roman de Marguerite Duras, pourtant tournées avec une très jeune actrice qui ont valu à
l’actrice Jane March de supporter le surnom octroyé suite à ce film, « The Sinner from
Ponner ». Les exemples ne manquent pas.

Il est certain que la fin du XXème siècle a marqué un schisme entre l’apparition de règles de
plus en plus floues en matière de respect de la personne, une indifférence au mal infligé aux
autres et l’apparition d’un rigorisme religieux implacable. Or cette voie est particulièrement
dangereuse, car elle ouvre la porte à toutes les dérives d’une censure aveugle.
La confusion entre l’art, l’érotisme et la pornographie a brouillé les perceptions et
comportements. Entraînant là aussi une confusion entre le choix d’une profession et
l’acceptation sans condition de certaines contraintes physiques devenues obligations. Quoi

de plus naturel en effet que de considérer que ce qui est accepté pour un rôle, le soit dans la
vie courante afin d’accéder à ce rôle. Les mœurs prétendues dissolues de la danseuse et de
l’actrice du XIXème siècle ont la vie dure.

Si Me too permet l’émergence d’une nouvelle approche de l’art et de ceux qui l’incarnent,
d’une approche plus saine et plus responsable, nous aurons tous à y gagner.
Car on ne doit pas oublier l’effet dévastateur que ces images portées à l’écran, ont dans
l’inconscient collectif. Ils justifient la banalisation de l’outrage physique fait à autrui et nul
ne sort gagnant de ces dérives.

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