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Télétravail : retour de l’impératif managérial

Mars 2020, la France est plongée dans le premier confinement généralisé de ce siècle.

Victime collatérale des nouvelles dispositions sanitaires, le travail en entreprise prend un nouveau tournant et pour les millions de salariés qui le peuvent, le travail s’effectue désormais à la maison. Pour la première fois le 100% télétravail est né.

Sans aucune préparation, il s’improvise au gré des organisations et selon des règles floues. Alors que le télétravail en France est codifié par une ordonnance du 22 septembre 2017, il s’organise en s’affranchissant subitement de toute règle.

Un management distant sans règle

Le télétravail version mars 2020 se caractérise principalement par la singulière absence de règle prédéfinie. Alors que de nombreuses entreprises utilisent déjà régulièrement le travail à distance, c’est un mode de fonctionnement encore largement minoritaire. Il reste une option choisie et acceptée de manière bilatérale entre le salarié et l’employeur, souvent mise en œuvre quelques jours par mois et ne concerne qu’à de très rares exception 100% du temps. Ce mode de fonctionnement donne toujours lieu à un accord précis entre les deux parties qui en déterminent les contours de manière stricte, conformément à la loi.

Depuis 2017, l’ordonnance qui régit le télétravail établit les règles et devoirs des deux parties. L’article L 1222.9 notamment renvoie à un accord collectif pour le contrôle du temps de travail et la détermination des horaires, des temps de pause et le droit à la déconnection entre autres.

Or une étude de l’INSEE publiée elle aussi en 2017 montre que seuls ¼ des salariés du secteur privé en France sont réellement encadrés par un accord collectif.

C’est donc la plupart du temps sans aucune règle écrite et applicable que les salariés et les entreprises ont entamé ce confinement du printemps.

Certains se sont empressés de rappeler les règles de base du travail à distance, tel Digitaly-France qui propose dans ce contexte quelques règles à suivre : « Pour manager efficacement des équipes en télétravail, il est essentiel de faire confiance à son équipe et de lui assigner des tâches claires, avec un cadre précis. Le management par objectifs a largement fait ses preuves dans ces contextes de travail à distance. »

Une règle suivie au gré des initiatives personnelles selon les managers en place.

Or quelques mois plus tard il semble que le tout télétravail et le management à distance n’aient pas totalement convaincu. Avant le deuxième confinement René Bancarel exprimait ses craintes dans The conversation :

« Globalement, le télétravail est une pratique appréciée. Toutefois rendre le télétravail obligatoire afin de lutter plus efficacement contre la propagation du COVID 19 se heurterait à des réticences venues des employeurs, des managers, des représentants syndicaux et des salariés eux-mêmes. ».

Une marge d’erreur acceptée

Lors du premier confinement les entreprises étaient peu ou pas préparées à assurer la mise en télétravail des salariés dont les tâches pouvaient être accomplies à distance.

Le flottement ressenti, les erreurs de management constatées ont été en grande partie acceptées compte tenu de l’aspect exceptionnel de la situation.

Certains salariés ont plutôt relativement bien vécu cette phase, profitant d’un temps moins contraint et d’une relative liberté d’organisation. La disparition soudaine du transport et de ses composantes temps et fatigue ont notamment été très appréciés.

La relative impréparation des outils et des organisations leur a permis de prendre avec le sourire parfois des disfonctionnements excusables dans une situation exceptionnelle.

Les plus chanceux ont découvert les qualités de cette mise à distance sans pour autant souffrir des inconvénients induits. Nombreux ont par la suite souhaité continuer à travailler au moins quelques jours à distance.

Une hausse des risques liés au management

Cependant dès ce premier confinement on a pu constater une hausse des risques psycho-sociaux liés à l’isolement et au manque de préparation du management.

L‘étude Malakoff-Humanis en date du 25 juin 2020 montre les effets de ce manque de préparation. En effet 31 % des salariés déclarent que le télétravail a eu un impact négatif sur leur santé psychologique ; 39% des télétravailleurs se disent souvent stressés ; 40% d’entre eux constatent une dégradation de la qualité du lien avec leurs relations de travail et 32% souffrent du manque d’accompagnement.

Les observateurs font état de la violence ressentie face à des situations hors contexte présentiel. Une remarque en vidéo ou un simple mail, ont montré leur force destructrice et leur pouvoir de déstabilisation face à une population isolée, non préparée et potentiellement en souffrance.

Les managers de proximité ont parfois aggravé des situations déjà préexistantes sans que l’entourage naturel du salarié puisse relativiser les propos et en désamorcer l’insécurité induite.

Un télétravail sous contrôle

Charles-Henri Besseyre des Horts, président de l’AGHH, dans une récente interview aux Echos constate :

« Le télétravail a été une bouée de sauvetage, parce qu’il était contraint et jugé temporaire. Pour le perpétuer, une évolution des modes de management est indispensable. Et le traditionnel « command and control » doit céder la place à un management par la confiance. Mais un changement de culture et de posture ne peut se faire du jour au lendemain. Construire une organisation qui décentralise la prise de décision, et fait la part belle à la délégation et l’autonomie, nécessite un accompagnement et une formation, tant pour les managers que pour les collaborateurs. Sans cette refonte profonde, ce n’est pas du télétravail qui est mis en place, c’est du contrôle à distance. »

Ce qu’Amélie Leclercq-Vandelannoitte, chercheuse au CNRS rappelle dans son constat : « Le télétravail n’est ni bon ni mauvais. C’est une question de dosage et il doit s’inscrire dans un projet d’entreprise. »

Le télétravail ne reflète pas les conditions habituelles de l’activité salariale et nécessite contexte et préparation.

Le télétravail est né. Reste à mettre en place les outils associés indispensables. Il n’est en aucune manière possible d’y déroger. Ce n’est qu’à cette condition qu’il deviendra probablement incontournable sans dommage.

Les défaillances du management sur site posaient parfois de nombreux problèmes sans pour autant susciter de prise en considération. 2020 marque probablement un tournant. Le management est une fonction clé. Elle représente une opportunité pour l’entreprise mais aussi un risque compte tenu des conséquences humaines et économiques liées à ses disfonctionnements.

En 2020, la valorisation des entreprises en dépend. En témoigne, le mouvement largement amorcé de généralisation de prise en compte des critères ESG : Environnementaux, Sociaux et Gouvernementaux, par les analystes financiers.

Patricia Capelle
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2 thoughts on “Télétravail : retour de l’impératif managérial

  • Sujet très interessant Objet d’un post sur notre réseaux Linkedin et sur notre site.

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    • Bonjour Collectif Performance,
      merci pour votre commentaire et partages sur votre site et réseaux sociaux
      Cordialement
      L’Echo des Arènes

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