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L’évènementiel et le risque zéro : le casse-tête du Stade de France

A l’heure où une curieuse fascination semble avoir pris pied au sein de l’espace public, la fameuse nation aux 66 millions de sélectionneurs apparaît en passe de devenir celle des 66 millions de logisticiens, organisateurs d’évènements, maîtres de l’urbanisme et de la gestion des foules. Pendant quelques jours l’actualité nationale, l’actualité locale parisienne a éclipsé, de manière subite, les questions aussi cruciales que celles de la crise ukrainienne, des élections législatives ou encore des interrogations sur les urgences climatiques ou le passage à une économie inflationniste sur le long terme.

Alors la problématique du Stade de France est-elle un épiphénomène, est-elle le signe d’une lassitude générale envers ces sujets ou de l’engouement inattendu pour ce « Whodunnit » qui voit la recherche du blâme cannibaliser entièrement une quelconque discussion réelle sur les enjeux (et peut-être également les dangers) de l’organisation de tels évènements ?

L’évènement à monter soi-même : le fantasme de la simplicité

L’organisation d’évènements d’une telle ampleur, on s’en doute, est un travail particulièrement long et compliqué, impliquant une myriade d’acteurs, une organisation en amont lourde et contraignante, et la nécessité de faire des choix souvent contre-intuitifs.

Posé simplement, la rencontre a beau être un des évènements sportifs majeurs de l’année, les ressources à disposition des organisateurs n’en sont pas pour autant illimitées.

Ici trois acteurs : les autorités publiques avec la préfecture de police, l’UEFA organisateur et le Stade de France hôte. Ces trois acteurs de niveaux et de responsabilité différentes ont aussi des objectifs différents : d’un côté maximiser les bénéfices induits par l’évènement contre de l’autre minimiser le coût d’argent public tout en assurant la sécurité non seulement des participants mais, il faut ici le rappeler, celle des habitants.

Comment cependant expliquer que de tels acteurs, avec une expérience qui n’est pas à démontrer, aient pu à ce point « rater » l’organisation de l’évènement ? Pour le comprendre il faut rapidement revenir, de manière théorique, sur les 3 grands moments d’un évènement : la préparation en amont, l’évènement en lui-même pendant, et le suivi en aval.

En amont, et il ne s’agit pas ici de distribuer les bons et mauvais points mais de pointer les possibles fragilités, Préfecture, UEFA et Stade de France ont ensemble défini le déroulé de l’évènement : plan d’accès et mesures de sécurité, plan d’évacuation en cas d’urgence et utilisation de l’espace public. Sans l’accord de la Préfecture sur ces 3 points (parmi de très nombreux autres), pas d’évènement possible.

Ce qui, une fois encore, signifie que les 3 acteurs s’étaient préalablement mis d’accord, en toute connaissance de cause, sur le plan d’exploitation de l’évènement.

Pourquoi cette précision ?

Parce que de celle-ci découle les 2 principaux problèmes qui semblent avoir émergé durant cette rencontre : une mauvaise gestion des flux de personnes qui a créé des goulots d’étranglement avant le début de la rencontre, et une gestion insuffisante des ressources policières pour protéger les abords du stade avant et surtout après la rencontre, donnant lieu à des scènes particulièrement difficiles pour les supporters qui quittaient le stade.

Quelle solution alors ?

Le diagnostic semble simple : il aurait suffi d’assurer jusqu’aux entrées du stade un corridor prédéfini (pensez aux files d’attentes en rang d’oignons des PC sécurité de l’aéroport) et il aurait surtout été pertinent de renforcer celui-ci par la présence à intervalles réguliers non seulement de policiers parlant anglais et espagnol, mais aussi de personnels d’accueil capables de répondre aux questions du public. Pour le plaisir, les organisateurs auraient pu aussi y ajouter un stock de bouteilles d’eau réparti le long du parcours pour les spectateurs ainsi que des toilettes publiques permettant de supporter la longue attente sans perdre sa place dans la file.

Et la sécurité ?

Un corridor complet de policiers le long de l’intégralité de l’enceinte du Stade de France, et après la fin du match un même corridor permettant d’assurer la sécurité des supporters à minima jusqu’aux transports publics et parking proches.

Le jeu à somme nulle : ressources & accompagnement

Définitivement simple alors si les acteurs avaient fait « bien » leur travail ? Pas exactement et c’est toute la différence entre la théorie et la pratique évènementielle.

Ici cette hypothèse signifie d’inviter les supporters à rejoindre le stade 5h avant le début de la rencontre, signifie aussi que les supporters arrivent selon un flux quantifiable, régulé par le planning de RER, signifie mobiliser les personnels de police et du stade de 12h à 00h (la mise en place de tels dispositifs ne se fait pas en quelques minutes), signifie enfin de bloquer une part importante de l’espace public durant le samedi d’un week-end de jour férié.

On le comprend il est facile ici d’assigner les blâmes, de pointer les manquements des uns et des autres. Mais pour un tel dispositif il convient également de rappeler que cet « échec patent » qui a vu entre 60 000 et 80 000 personnes converger vers un même lieu en quelques heures dans une atmosphère particulièrement surchauffée par la nature même des passions soulevées par cette finale de Ligue des Champions, n’a pas vu un seul blessé grave et heureusement aucun mort. Aux images des individus forçant les portiques on peut aisément opposer celles des nombreux évènements où les mouvements de foules ont été meurtriers, comme l’avait cruellement rappelé le drame de l’AstroWorld Festival au Texas l’année dernière.

Enfin, et c’est le point particulier qui sous-tend ce propos, la question cruciale ici est celle des ressources, et notamment des ressources publiques. Chaque policier mobilisé durant cette demi-journée est un policier qui le jour durant manquera ailleurs, chaque pompier présent sur le parcours et aux alentours du stade est un professionnel de moins pour répondre aux urgences quotidiennes d’habitants, de Saint-Denis par exemple, qui ne bénéficient en rien de la tenue de ce prestigieux match dans leur ville.

Rappelons, et c’est la relative hypocrisie de ce type d’évènement, que les recettes générées ne reviennent pas (directement) à l’Etat, que schématiquement les coûts sont pour le public quand les recettes sont pour les acteurs privés. La répartition des recettes, la taxation, d’aucuns diraient également la dynamisation de l’écosystème économique local durant l’évènement sont souvent avancés pour contrer cet argument et font sens sur le long terme, mais quiconque a entraperçu de loin l’importance aujourd’hui du marché du football ne saurait honnêtement s’en défendre.

L’Etat certes à un réel intérêt à la réalisation de tels évènements, un intérêt économique comme de prestige, mais celui-ci n’est pas gratuit.

Le risque zéro en évènementiel est quelque chose de presque possible, quelque chose que les organisateurs visent toujours, construisant plans, plans B, plans de secours, mais rappelons que celui-ci a un prix, qui souvent signifie un coût pour l’acteur public et pour les citoyens imposés.

Quentin Capelle

Consultant Reputation Age

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