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Europe – Comment assurer notre souveraineté au XXIème siècle ?

par Jean Pierre SPITZER –  Avocat au Barreau de Paris, Directeur scientifique de l’union des avocats européens, membre du bureau du Mouvement Européen


La France s’est constituée contre les empires pour conquérir sa souveraineté c’est-à-dire pour utiliser les termes de droit institutionnel, pour avoir la compétence de sa compétence ; ou en mots de tous les jours pour décider elle-même ce qu’elle voulait pour ses citoyens.

Ayant acquis cette indépendance, elle a tenté – et parfois réussi (mais à quel prix !…) – d’être un acteur majeur du monde avec des apports considérables. Ainsi du XVIIème au début du XXème siècle, la lutte s’est exercée d’abord contre l’Angleterre puis contre l’Allemagne. Aujourd’hui encore beaucoup d’analyses portent sur la lutte pour notre souveraineté … contre l’Allemagne ! Qui serait par trop dominante.

Les tenants de ces « combats » qui s’auto-intitulent souverainistes ou patriotes dénoncent pêle-mêle Maastricht et l’ordo-libéralisme qui auraient conduit à la domination germanique en Europe et sabordé le modèle français, nous privant ainsi de notre souveraineté.

Ils oublient que François MITTERRAND avait tranché ce débat en deux épisodes – 1983 et le maintien du serpent monétaire (déjà contre Chevènement entre autres), et les fameuses règles mises en place lors de l’instauration de l’euro des 3% de déficit et 60% de dette publique(1). A la fin des années 1980 la France était loin d’atteindre ces chiffres et François MITTERRAND disait à l’époque que si ces chiffres étaient atteints, une telle politique de finances publiques serait désastreuse, ruinant les Français, épargnants et retraités.

Ce « modèle français » a donc été abandonné autour des années 1990. Cependant, alors que Tony BLAIR et Gerhard SCHRÖDER – sociaux-démocrates tout deux – réformaient leur pays, nous avons vécu dans l’ouate corrézienne ! Ce qui n’est certes pas désagréable pour ceux qui y vivent mais tragique pour leurs enfants.

Donc, de grâce, face aux enjeux planétaires, au plus grand risque de déclassement auquel l’Europe n’a jamais été confrontée, ouvrons les yeux, regardons la réalité en face et cessons de croire en une souveraineté nationale auto-proclamée susceptible d’être une réponse à ces défis.

A cet égard je me souviens que lorsque nos professeurs d’histoire-géographie nous enseignaient la chute de Constantinople nous trouvions ridicule qu’on continuât à discuter du sexe des anges pendant que les Ottomans étaient entrain de conquérir tout l’Empire d’Orient et faisaient le siège de Constantinople.

Le citoyen Européen que je suis n’en rit plus aujourd’hui, car à nos portes se pressent ceux qui contestent notre modèle. Certes ils ne veulent pas nous conquérir avec une armée comme à la fin du XVème siècle mais l’islamisme politique, et sa dérive le terrorisme, sont indiscutablement nos ennemis. A cet égard, il y a le feu au Sud : il suffit d’évoquer la Libye et tout le sud Sahara ; il y a également le feu à l’Est, Irak et Syrie représantant une véritable pétaudière.

Or aujourd’hui nous sommes incapables d’y faire face, comme nous étions incapables dans le passé de nous opposer à des guerres que nous jugions pourtant à juste titre dénuées de pertinence et aujourd’hui tout juste capable de suivre notre puissant allié sans pouvoir exercer quelqu’influence que ce soit.

Par ailleurs, ce même allié, théoriquement notre meilleur ami, décide quand il veut avec qui nous pouvons commercer, grâce à la dictature du dollar, la mobilisation de SWIFT et à sa puissance juridico-judiciaire. Face à ce défi que faisons-nous ?

  • Décrétons-nous la mobilisation générale européenne pour lutter contre le terrorisme extérieur et à l’intérieur de nos frontières ?
  • Faisons-nous preuve d’une solidarité exemplaire afin d’organiser ou de canaliser les flux migratoires par une action forte en dehors et dans nos frontières ?
  • Faisons-nous tout pour promouvoir l’euro comme monnaie de réserve et prévoyons-nous des contre feux à la puissance dominante juridico-judicaire ?

Rien de tout cela !

Pendant ce temps là nous nous livrons à nos passions tristes :

  • Détestation de « Bruxelles » avec ces conséquences : Brexit – populismes divers, etc.
  • Lutte pour le leadership européen (beaucoup d’entre nous croient toujours que c’est pour le leadership mondial …) matinée d’anti-germanisme primaire.

Bref à l’instar de ce qui restait de Empire d’Orient à la fin du XVème siècle, nous refusons la réalité tragique et discutons d’une autre forme du sexe des anges.

Alors que la réalité des menaces crève les yeux.

Or, à l’évidence ni la France seule, ni l’Allemagne seule(2) sont capables de répondre à ces défis et encore moins de continuer à être un acteur indépendant dans le concert des puissances mondiales.

Au mieux notre pays bénéficierait d’une souveraineté formelle, c’est-à-dire apparente

Il suffit d’évoquer à cet égard les exemples norvégien et suisse. Surtout ce dernier dont on connaît la souveraineté sourcilleuse mais qui n’a pas hésité à s’incliner et à modifier tout un pan important de sa législation face à des exigences américaines.

Donc toute recherche de solution face aux défis existants, autour d’un retour à l’Etat nation est voué à l’échec. Au mieux ce sont des rêveries d’avant 1939 que de penser que notre avenir indépendant réside à l’intérieur de l’Hexagone.

En revanche nous pouvons poser la question comme l’a fait le Général de Gaulle après la guerre : pour être indépendant et donc souverain, il faut avoir toute la capacité de se défendre ce qui nécessite également une certaine puissance économique et financière. Seul le cadre de l’Europe unifiée, c’est-à-dire l’Union Européenne, permet de remplir ces conditions qui sont quasiment aujourd’hui des prérequis en vue de rester indépendant. Evidemment cette construction européenne n’est pas une panacée et n’est pas aujourd’hui, dans l’état ou elle est, une solution.

Vers une Souveraineté européenne ?

Alors que faire pour être indépendant et pour appeler comme l’a fait notre Président de la République à une souveraineté européenne ?

Une question une première réponse s’impose c’est celle qu’a donné Jean MONNET : « Continuez ». Mais aujourd’hui il faut continuer en changeant assez fondamentalement cette Union, voire même en y amorçant une espèce de révolution copernicienne.

En premier lieu, les citoyens ne se réapproprieront l’idée européenne que s’ils ont la très nette conscience que l’Union Européenne les protège. A cette fin il faut restaurer les frontières de l’Union – seul moyen de sauver et sauvegarder l’espace Schengen où il est si agréable à vivre pour l’ensemble des citoyens européens – ce qui ne signifie pas construire des murs mais maîtriser nos frontières en redonnant le sentiment aux citoyens européens d’habiter un territoire à eux et non pas ouvert au monde entier. Ceci n’empêchera en rien une politique d’émigration généreuse, mais surtout pertinente et adoptée par le Parlement et le Conseil des Ministres. Ceci nécessitera de transférer les grandes compétences régaliennes de protection à l’Union notamment en matière de défense, d’asile et d’émigration et de lutte contre le terrorisme.

Par ailleurs, pour permettre à l’Union d’assurer de telles compétences, il sera nécessaire de rebasculer sur les Etats membres l’organisation économique et sociale puisque le cadre est tracé : les libertés fondamentales, notamment les quatre grandes libertés sont acquises et assurées, les règles de concurrences sont fixées et leur application peut très bien être déléguée aux Etats membres sous contrôle de la Cour de justice, et, notamment dans le secteur de la concurrence, de celui de la Commission en tant que gardienne des traités.

En contrepartie, l’Union Européenne devra avoir plus de compétences pour mettre en place une véritable politique monétaire et une harmonisation fiscale et sociale ce qui signifie que les règles nationales soient harmonisées ce qui est différent de la création de règles européennes uniformes dans les 27 Etats membres.

A cette fin, et pour donner une chance à cette inversion de tendance – c’est-à-dire mettre fin à 25 ans de mauvaise Europe (élargissement forcenée avec disparition du territoire, aucune avancée dans les secteurs régaliens et une inflation de normes et de mesures dans la vie quotidienne des Européens) – il a lieu de mettre en place une adaptation du processus décisionnaire qui est loin d’être facile.

En effet, nous savons comme il est difficile de prendre des décisions réformatrices importantes au niveau national étatique dans nos démocraties.

Cependant la possibilité de nous maintenir parmi les puissances souveraines – même si elles sont interdépendantes- existe. L’Union Européenne a toujours un potentiel formidable et les Européens ont fait preuve d’un remarquable instinct de survie durant notre déjà longue histoire. Reste à savoir si cet instinct peut s’exercer dans une démocratie pluraliste ouverte comme celle qui existe aujourd’hui dans l’Union Européenne ou s’il conduit les Européens à décider de mettre en place des « chefs », certes élus mais aux mains libres, sans respecter nos valeurs essentielles, c’est-à-dire sans avoir une opposition à statut, une justice et une presse libres, ainsi qu’un Etat de droit notamment en ce qui concerne le respect des droits de l’Homme.

Le déclinisme étant sans avenir et la démocrature peu séduisante, c’est dans le cadre de notre démocratie fondée non seulement sur l’élection mais également sur ces valeurs qu’il faudra trouver les moyens de construire cette souveraineté européenne.

Des pistes ont été tracées par le Président de la Commission Monsieur JUNCKER, dans son récent discours sur l’état de l’Union.

D’autres peuvent y être ajoutées :

  • Revenir à une Commission resserrée comme cela est prévue par le Traité de Lisbonne ce qui permettrait à tout le moins d’éviter un Commissaire à l’élargissement et quelques autres aberrations.
  • Injecter de la politique dans l’Union européenne – et non de la démocratie comme cela est souvent souligné par erreur- rendant le pouvoir européen visible et populaire.
  • Rendre les travaux du Conseil des ministres transparents, permettant ainsi aux citoyens européens de suivre la politique européenne.
  • Installer ce pouvoir au sein de frontières clairement délimitées.
  • Ériger l’euro en monnaie de réserve.

Bien sûr, cette liste n’est pas exhaustive mais tel est le chemin pour maintenir ou reconquérir une souveraineté que nous ne pourrons exercer qu’en la partageant au sein de cette Union Européenne où malgré les différences entre les Etats membres, les valeurs nous sont communes (pour l’heure…). Tout ceci à condition que dans les années à venir les citoyens européens se réapproprient cette idée européenne et écartent eux-mêmes les tentations de démocrature ou de démocratie illibérale, certes parfaitement explicables du fait de notre carence depuis 25 ans, et en quelque sorte de notre abandon génital de l’héritage que nous avaient laissé, à la suite des fondateurs, François MITTERRAND, Helmut KOHL et Jacques DELORS.

Il appartient à la jeunesse européenne de reprendre, en le modifiant à son goût, cet héritage afin d’assurer à l’avenir le maintien de notre souveraineté réelle c’est-à-dire de rester, voire de redevenir, un acteur spécifique du monde. Je rejoins Vincent FERÉ qui a brillamment démontré l’inanité du retour au souverainisme national pour les Européens, prélude à l’effacement de nos pays et la grandeur du souverainisme européen, « gage de l’accomplissement de leur histoire et de la pérennité de leur civilisation(3).

Jean Pierre SPITZER

Avocat au Barreau de Paris,
Directeur scientifique de l’union des avocats européens,
Membre du bureau du Mouvement Européen


(1) Ces pourcentages s’entendent par rapport à notre PIB.
(2) Ni le Royaume-Uni d’ailleurs !…
(3) Vincent FERÉ in « COMMENTAIRE » n°162, page 331. 

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