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La raison d’être, l’entreprise à mission : une inquiétude pour les dirigeants

Au départ c’est un engouement, une volonté de faire bouger les lignes, qui soudain laisse place au doute. Le mouvement engendré par une réaction inattendue de certains actionnaires et la manifestation concrète de leur pouvoir, celui de demander de comptes et de dire non.

Emmanuel Faber en a fait l’amère expérience le 14 mars dernier, d’autres dirigeants vont-ils reculer désormais face à une démarche devenue hautement risquée ?.

Raison d’être, l’entreprise à mission

La raison d’être et l’entreprise à mission sont inscrites depuis du 22 mai 2019 dans la loi Pacte et modifient profondément les entreprises qui les adoptent. A l’origine du texte, un constat, « la définition de l’entreprise en droit ne reconnait pas la notion d’intérêt social et n’incite pas les entreprises à s’interroger sur leur raison d’être ». Et selon un sondage IFOP/ Terre de Sienne (2016), 51% des Français considèrent qu’une entreprise doit être utile à la société dans son ensemble, ce critère venant avant l’utilité envers ses client (34%) ses collaborateurs (12%) et ses actionnaires (3%).

La loi Pacte ou Plan d’Action pour la Croissance et la Transformation de Entreprise traduit une volonté nouvelle. Elle a délibérément poussé les entreprises à devenir plus que de simples usines à cash, mais bien des entités au cœur même du tissu communautaire, social et économique dans lequel elles jouent un rôle actif et constructif.

Si la déclaration de la raison d’être a été largement plébiscitée par les entreprises, il n’en est pas de même concernant le choix du statut d’entreprise à mission. Ce choix implique un engagement par nature plus contraignant. En effet au-delà du simple testimonial, il revêt une série d’obligations précises, une modification de la gouvernance, un reporting obligatoire donnant lieu à vérification et certification par un organisme indépendant habilité, choisi par l’entreprise.

La certification d’entreprise à mission est conçue comme l’engagement long terme de l’entreprise et participe ainsi pleinement à son attractivité globale, sa marque employeur, son statut de fournisseur, ses produits, sans oublier son attractivité financière.

Les entreprises qui ont adopté ces postures ont concrètement choisi de miser sur ce temps long. Ce temps long auxquels elles avaient souvent dû renoncer face aux pressions liées à leur rentabilité financière.

Loi PACTE et effet boomerang

Or les évènements récents ont mis en lumière un effet « boomerang » peut-être sous-estimé dans l’écriture de la loi PACTE.

L’attractivité de l’entreprise pourrait en réalité inviter à la table des décisions certains partenaires attirés par de toutes autres considérations.

En effet, certains fonds activistes ont pris pour cible ces entreprises engagées, en raison même de leur engagement. C’est une sonnette d’alarme que lance entre autres Bertrand Valiorgue, professeur de stratégie et gouvernance des entreprises à l’Université Clermont Auvergne (UCA), auteur de l’essai « La raison d’être de l’entreprise » (Presses universitaires Blaise Pascal, mars 2020). Il estime que ces fonds constituent une réelle menace à l’engagement social des entreprises.

L’entreprise qui se fixe des missions est une entreprise qui a les moyens de choisir une rentabilité plus faible comme l’ont montré les résultats de plusieurs études. Il se base notamment sur les résultats et conclusions d’une étude américaine de Rodolphe Durand, Mark Desjardine et Emilio Marti sur les Fonds spéculatifs 2020 « Why activist hedge funds target socially responsible firms: The reaction costs of signaling corporate social responsibility. »Academy of Management Journal.

Les auteurs de l’étude qui porte sur une période longue, allant de 2000 à 2016, ont analysé les motivations des choix d’investissement des fonds spéculatifs. Ils ont observé que les entreprises dont la politique de RSE est mise en avant, ont 3 fois plus de risque d’être ciblés par ces fonds. Car ces entreprises possèdent à leur yeux un réservoir de croissance supérieur aux autres. Ils soulignent aussi à quel point une fois ciblées, les activités de ces fonds peuvent nuire grandement aux efforts de entreprises. Une fois installés, leurs objectifs sont clairement d’optimiser les résultats financiers parfois en totale contradiction avec les engagements RSE précédents.

Des dirigeants pas suffisamment protégés

Or l’arrivée de ces fonds dans l’entreprise n’est pas toujours suffisamment prise en compte par les dirigeants. Parfois même ils n’ont pas conscience de leur emprise et ne peuvent organiser suffisamment en amont la défense de l’entreprise.

Tenant compte de ces difficultés, Jérôme Saddier, président d’ESS France, propose quant à lui d’ajouter des modules à la loi Pacte de manière à corriger les effets pervers de cette attractivité. « La transformation de l’entreprise est une condition nécessaire à la transition du modèle, et de ce fait un enjeu de société. »

Il évoque l’intérêt de dédier une allocation de moyen et notamment des ressources au financement des éléments constitutifs de la mission choisie. Il propose aussi que cette allocation de moyens donne lieu à un reporting précis.

Par ailleurs il rappelle l’importance de la gouvernance de l’entreprise et l’indispensable stabilité de l’actionnariat. Il lui semble notamment nécessaire de doter l’entreprise d’un pacte d’actionnaires en lien avec ses missions et en appui à la réalisation de ses éléments constitutifs.

Certains en concluent que l’entreprise à mission risque assez vite de ne pas dépasser le stade des intentions d’action, tant la pression et les risques sont importants, mais c’est sans compter sur la volonté d’une partie croissante des parties prenantes qui l’ont bien compris : « l’avenir se construit à long terme et se détruit à court terme ».

Un choix politique, social et économique qu’il faut assumer à long terme.

Patricia Capelle
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