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Les GAFA : le début de la fin | Partie 3 : les géants aux piliers d’argiles

L’incroyable réussite des GAFA(1) et plus globalement des licornes américaines repose sur un écosystème extrêmement puissant. Il a vocation de créer un environnement propice au développement et à la croissance des services qu’ils diffusent. Cet écosystème se regroupe autour de 4 piliers qui œuvrent dans le même sens : la domination.

C’est une innovation qui n’a pas été forcément été bien comprise

Les 4 piliers des GAFA

Les technologies

A la simple énonciation du mot « GAFA », la majorité des personnes pensent à des leaders technologiques en citant plein de mots assimilés : Numérique, intelligence Artificielle, Big Data …. Sous couvert d’un mot générique « le numérique », on assimile – trop souvent – les GAFA a des entreprises qui détiennent toutes les technologies mondiales. On fait un raccourci trop rapide de ce que sont réellement les bases technologiques des GAFA.

Il faut bien comprendre que la stratégie technologique des GAFA repose souvent moins sur l’innovation technologique que sur les moyens mis en œuvre pour y accéder et la diffuser.

Les vraies innovations technologiques et/ou commerciales ont été généralement à la création, puis le fait d’acquisition d’entreprises à coup de millions voir de milliards de dollars et rarement par le développement en interne via les services de R&D.

Dès qu’un nouvel usage apparait avec une nouvelle technologie – exemple : l’intelligence artificielle au milieu des années 2010 – il y a immédiatement des tentatives massives d’acquisitions. L’idée de capter l’usage pour le détenir et le valoriser. Ces propositions d’achats sont généralement couronnées de succès car les montants proposés sont très importants.

Cela permet de les intégrer à leurs catalogues de services ou simplement bloquer la technologie en captant l’intelligence des équipes R&D qu’ils ont achetées. Si cela ne marche pas, le Droit rentre en jeu, comme cela se passe avec le chinois Tik-Tok pour limiter, bloquer ou interdire cette application sur le sol US.

De plus, cela fait longtemps qu’il n’y a pas eu de découverte technologique majeure ou d’innovation structurante ou de rupture par les GAFA. La dernière en date est le « Smartphone » mais cela remonte déjà à plus de 13 ans avec l’arrivée du 1er iPhone tactile. Ce sont les innovations d’usage qui ont été les plus marquantes.

Les produits dit technologiques comme les lunettes et enceintes connectées peinent à rencontrer le succès escompté ou ont simplement disparu. Les smartphones n’intègrent presque plus aucune « nouvelle » technologie mais sont actuellement sur la recherche d’amélioration de celles existantes.

Nous sommes donc sur un plateau technologique et les ruptures annoncées comme par exemples les véhicules autonomes ou autres intelligences artificielles dans le cadre d’application grand public sont encore en devenir et marquent le manque de concrétisation des annonces marketing pourtant répétées. Les usages évoluent si vite que les GAFA se sont polarisés sur l’amélioration du ciblage des services et deviennent de simples prestataires de services.

Le pilier technologique des GAFA qui semblait si puissant à la fin des années 2000, notamment grâce à Google et ses innovations telles que Google Earth ou Street view, n’a clairement plus en 2020 la même solidité, fragilisé par sa technologie et freiné par un environnement économique ou les GAFA ne sont plus les seuls à être présents.

L’environnement économique

Mondialement installés les GAFA n’ont pas conquis le monde. L’éveil de l’Asie et le réveil de l’Europe sonnent une prochaine décennie bien plus complexe économiquement. Dans un modèle de développement économique à 2 chiffres qui permet de maintenir une domination de leurs capitalisations boursières, tous les freins à cette progression représentent un risque important.

La concurrence est maintenant bien installée, avec notamment les BATX Chinois mais aussi par des nouveaux entrants (Europe, Inde, Afrique …).  Ce réveil de la concurrence, pourrait marquer la fin du développement voire des pertes de part de marché.

Le Monde et sa population se sont numérisés « à marche quasi exponentielle » en 2 décennies, l’ensemble des continents (hors Afrique) ont atteint leurs pleines capacités et les marges de croissances sont de plus en plus faibles. Aujourd’hui les GAFA n’auront plus accès au marché Chinois, les marges de manœuvres de croissance à 2 chiffres paraissent donc de plus en plus compliquées à réaliser.

D’autres aspects économiques pèsent et pèseront plus fortement sur les GAFA : Le développement durable, l’impact écologique du numérique (notamment les data centers), les problèmes liés aux extractions et potentiellement à la pénurie des matières premières et des précieuses « terres rares » dont nos équipements informatiques et smartphones sont remplis, la demande de fin de l’obsolescence programmée sont autant de freins au développement exponentiel des GAFA.

Dans la société, la volonté des utilisateurs de diriger leur consommation avec les entreprises toujours plus « éthiques » et « responsables ». Le capitalisme de surveillance, notamment avec la reconnaissance faciale déjà largement utilisée par les Chinois pour surveiller son peuple, soulève de plus en plus de peurs. Un exemple de ces nouvelles craintes, la faible adhésion des populations pour les applications anti COVID sont la démonstration que les personnes ont compris le risque de toutes formes de traçage.

Tout le monde se rappelle de l’affaire Cambridge Analytica, qui avait fait un scandale mondial permettant aux consommateurs d’enfin comprendre ce à quoi une partie des BIG DATA que détenaient les GAFA pouvaient servir sans demander un consentement personnel.

Plus récemment (décembre 2020) une simple notification de « WhatsApp » (appartenant à Facebook) indiquant des changements de conditions de stockages et potentiels partages avec la maison mère « Facebook » aurait habituellement été aussi vite oubliée car personne ne lisait suffisamment les fameuses CGU ou CGV.

En 3 jours sous la pression de l’ensemble des utilisateurs qui ont massivement relayés leur mécontentement sur les réseaux WhatsApp a dû faire machine arrière et doit encore faire preuves d’explications quand à cette information.

L’ère de la consommation du  « tout » numérique par les usagers, sans comprendre ou sans demander des comptes aux marques semble clairement terminée !

Afin de garder leur leadership technologique et d’éviter toute nouvelle arrivée de concurrents technologiquement aussi puissant qu’eux, les GAFA ont pour eux une arme de protection massive être issus de la première économie mondiale avec sa puissance financière et l’extraterritorialité de son droit. 2 piliers moins (re)connus mais tout aussi essentiel.

La finance

Certainement le pilier le plus fort.

Pour comprendre ce pilier il faut décortiquer le modèle Américain du financement d’entreprise.

Le marché financier, si souvent décrié, est un formidable levier de financement. Il sert non seulement les actionnaires mais permet à des entreprises d’avoir un « poids » économique important et parfois bien plus imposant que l’économie réelle générée par les produits ou les services qu’elles proposent.

Si les Etats Unis dominent la finance depuis 40 ans, cela a d’abord été par les fonds de pensions US. Ce système qui paye les retraites des salariés américains est un acteur majeur de la finance mondiale. Construit avec la nécessité de réaliser de forts taux de rendements, ils ont investi et investissent encore sans compter dans tout ce qui pourrait générer à court ou moyen terme. Ils appliquent souvent des méthodes spécifiques afin d’obtenir des rendements importants à 2 chiffres. Cost killing, vente à la découpe et délocalisation ont été souvent les outils de ces fonds.

Les GAFA se sont clairement appuyé sur ce système, d’une part soutenue par l’état fédéral américain, mais aussi par les survalorisations en bourse dopées par les achats technologiques qu’ils ont faits au cours des 15 dernières années. Plus ils achetaient d’autres entreprises, même sans résultats positifs et profits annuels, plus leur puissance financière s’agrandissait. Et ainsi les GAFA, auxquels on peut y ajouter Microsoft et les BATX, sont devenus les premières capitalisations mondiales depuis le milieu des années 2010, et ont remplacé les pétroliers (EXXON Mobil, Petro China) et les Minières comme BHP Billiton (source décideurs magazine fév 2019).

Une stratégie d’investissement sur-massif pour tuer les concurrents et arriver à la situation « winner takes it all »

La capitalisation boursière des GAFA en 2020 est près de trois fois supérieure à toutes les entreprises du CAC 40, d’après l’étude GAFAnomics Quarterly. La valeur cumulée de Google, Amazon, Facebook et Apple a ainsi atteint 5 853 milliards de dollars (4 853 milliards d’euros) l’année écoulée, quand la capitalisation cumulée de l’indice des plus grandes entreprises cotées à la bourse parisienne est de 1 888 milliards d’euros au 17 février 2021.

Seules les grandes entreprises du numérique chinoises résistent à cette envolée capitalistique.

Face à cette réussite incroyable, et surtout depuis la fin de l’année 2020, les géants du numérique font face aujourd’hui à une véritable coalition tant de la concurrence que des états qui souhaitent reconquérir leur souveraineté numérique.

Sans présager de la forme ou de la violence des futures batailles entre les acteurs du numériques, les années 2020 – 2030 vont certainement être beaucoup plus complexes pour ces entreprises.

Le protectionnisme par le Droit

Les principaux états ont choisi eux même d’utiliser le Droit comme outil de régulation. Dans un premier temps comme nous l’avons vu précédemment, le Droit est en train de devenir une manière de retrouver une « souveraineté » numérique pour les pays dans la continuité de celles économiques et industrielle.

Le Droit sera ici utilisé pour maintenir voire accentuer la pression sur les GAFA, voire de « tenter » de les démanteler comme c’est le cas des procédures « antitrust » ou de régulations menées par le FCE aux Etats Unis, par les Etats Chinois ou par la Commission Européenne (5). Elles sont complétées par de nombreuses procédures mettant en cause les pratiques anti concurrentielle des GAFA.

L’Europe est pour une fois en première ligne et multiplie les actions de régulation. Sanctions financières multiples contre Google, plan de régulation et taxe GAFA pour la France. En décembre 2020, un groupement d’Etats appartenant à la Commission fédérale du commerce (FTC) ont menacé Facebook de le forcer à revendre ses filiales WhatsApp et Instagram. Même la Chine a bloqué acquisitions ou introductions en Bourse, qui contrevenaient aux objectifs du pays pour Alibaba ou Tenscent. On parle même d’une loi anti trust mondiale.

Comme le dit Philippe Escande dans un article du Monde récent : « Chacun y répond avec ses armes, l’autoritarisme pour la Chine, le juridisme pour les Etats-Unis et la régulation pour l’Europe. Cela a pris du temps, mais tous sont désormais alignés dans la même direction. La fin d’une époque ».

Par un arrêt très attendu rendu le 8 octobre 2020 (1), la Cour d’appel de Paris a confirmé la décision de l’Autorité de la Concurrence du 9 avril 2020 (2) qui avait enjoint à Google de négocier, de bonne foi sous trois mois, avec les éditeurs et agences de presse concernant la rémunération de l’utilisation de leurs contenus.

L’économie risque, à couts et moyen terme, d’être impactée par des modifications sociétales et comportementales majeures en particulier par la modification des usages, notamment en Europe.

Pour les Etats, le deuxième objectif sera de reprendre la maitrise de nos données, actuellement sources de valorisation importante par les GAFA mais aussi primordial pour les acteurs politiques. L’exemple criant aux yeux du grand public a été l’affaire de Cambridge Analytica qui a utilisé, en 2016, leurs algorithmes pour influencer l’élection américaine. Aucun pays ne souhaite que leurs prochaines élections démocratiques soient perturbées des actions ou ingérences extérieures qui viendraient modifier ou influencer les votes des citoyens. Tous réfléchissent aux mesures et actions de protection pour empêcher cela.

Le Droit doit aussi permettre la protection des entreprises stratégiques (En France comme en Europe) pour empêcher l’acquisition de futures Licornes locales. C’est maintenant inscrit dans les politiques économiques de nombreux pays comme une urgence de souveraineté.

La guerre du ou des Droit(s) a déjà commencé.

Après avoir vécu les entreprises planétaires, nous revenons aux relations mondialisées, chaque pays ou blocs de pays défendant leurs souverainetés et prérogatives. La potentielle guerre froide qui se prépare avec la Chine ne protégera pas les GAFA et ils le savent. Pour maintenir leurs croissances ils vont devoir devenir des opérateurs globaux. Et comme pour les Etats, cela passera par un retour aux fondamentaux et « l’internalisation » des industries, d’infrastructures et des matières premières nécessaires à leurs développements.

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A suivre ….  Partie 4 : Les GAFA, le retour aux fondamentaux et la guerre des souverainetés.

Philippe Rouger
Charles Boiry


(1)    GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon)

(2)    En 2017, La Commission européenne reproche à Google d’avoir violé les règles de concurrence de l’Union européenne en favorisant son comparateur de prix « Google Shopping ». Résultat, une amende de 2,42 milliards d’euros à payer. Et en 2020, Par un arrêt très attendu rendu le 8 octobre 2020 (1), la Cour d’appel de Paris a confirmé la décision de l’Autorité de la Concurrence du 9 avril 2020 (2) qui avait enjoint à Google de négocier, de bonne foi sous trois mois, avec les éditeurs et agences de presse concernant la rémunération de l’utilisation de leurs contenus. Mais cela touche aussi Amazon ou Facebook

(3)    Utilisation des données par Cambridge Analytica, société britannique, spécialisée dans l’analyse de données à des fins électorales a utilisé, de manière frauduleuse des données de 87 millions de personnes à des fins électorales dans l’élection de D.Trump.

(4)    Sanction sur ces 10 dernières années

(5)    A la fin 2020, l’Europe, les Etats Unis et la Chine ont annoncé vouloir lancer des procédures à leurs encontre, notamment sur des pratiques monopolistiques et anticoncurrentielles.

(6)    Evolutions technologiques ; Dans les débits (Fibre et 5G),  dans la communication et les médias, dans le e-commerce.

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