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L’entreprise et le management : de la Raison d’Être au Savoir-Être

La loi Pacte a réalisé une avancée considérable dans le cadre de la responsabilisation des entreprises face à leur environnement.

Depuis 2019 de nombreuses sociétés ont intégré une raison d’être dans leurs statuts. Le caractère contraignant édicté par la loi et la nature autoproclamée de cet élément ont probablement poussé les entreprises à adopter une formulation assez générique.

Les raisons d’être vont ainsi de « Satisfaire nos clients et conserver leur confiance » à « Offrir à chacun la meilleure façon d’avancer ».

Même si l’on peut s’étonner de la teneur assez vague des textes inscrits dans leurs statuts, ces Raisons d’Être ont le mérite d’exister. Elles ont la vertu de mobiliser assez largement les directions des entreprises et leurs parties prenantes autour de la recherche d’une sorte d’ADN éco-responsable.

Comme le rappelle Emmanuel Daoud dans le dossier des Editions législatives :  « Ces nouvelles dispositions appellent les organismes dirigeants des entreprises, au premier rang desquels les directoires et conseils d’administration, à prendre en considération, dans les orientations de l’activité de la société qu’ils dirigent et leurs décisions, les enjeux sociétaux, environnementaux de l’activité, ainsi que la « raison d’être » de la société. »

Ces Raisons d’Être s’ajoutent à un certain nombre d’éléments inclus dans la politique de RSE. Considérée majoritairement dans sa composante externe, elle reste un élément fort de gouvernance interne. Très souvent minimisée, elle revient directement au grand jour via d’autres biais peu ou mal calibrés par les directions d’entreprise. Or une gouvernance interne déficiente a plusieurs conséquences.

La réputation : un risque majeur à plusieurs dimensions

La réputation autrefois conçue comme un élément de communication active, d’attractivité et de vente était considérée comme un outil à la main de l’entreprise.

Or il s’avère que la réputation n’est plus seulement un outil piloté de l’intérieur. La réputation devient de plus en plus un élément extérieur difficilement contrôlable.

L’évolution de certains critères renforce son caractère exogène.

La réputation passe dans la catégorie des risques de l’entreprise, un risque multiple.

Un risque économique

Alors que l’agence social media Braaxe a déjà signé son contrat de vente avec l’agence Australie, l’accusation de déviance et de harcèlement émanant du compte Instagram « Balance ton Agency » suffit à rompre l’accord. L’affaire n’est pas en justice, l’accusé Julien Casiro n’est pas condamné, seulement montré du doigt.

Mais la réputation est entachée de manière définitive et l’acquéreur préfère rester en dehors de toute polémique. Il n’est plus question de rapprochement. La réputation de l’agence Australie, ne doit pas souffrir des forts soupçons qui pèsent sur la direction de Braaxe.

On peut imaginer que la valeur de Braaxe sur le marché est aujourd’hui largement détruite par cette affaire. Les clients peuvent être impactés, l’exemplarité des fournisseurs étant aussi aujourd’hui un critère d’analyse de l’entreprise. Il est certain que dans le choix du fournisseur, l’analyse de la réputation managériale est importante et le deviendra de plus en plus.

Un risque pour le management

La plainte rapportée récemment contre l’école d’architecture de Montpellier montre les effets catastrophiques induits par un management déviant.

La directrice récemment nommée, Stéphanie Jannin, ancienne maire adjointe de Montpellier condamnée dans l’exercice de ses fonctions pour conflit d’intérêt, est aujourd’hui suspendue de ses fonctions après une série de signalements de harcèlement déposés par les étudiants et les enseignants dont elle avait la charge.

Une enquête sur le climat délétère a conduit le ministère de la culture à prendre des mesures radicales, sanctions de deux professeurs, suspension du processus de recrutement d’un nouveau directeur et mise en place d’une gouvernance provisoire.

Le nouveau management aura du mal à faire oublier le tag « L’École de la Honte » inscrit furtivement sur ses murs.

Il en est de même pour Ubisoft, entre harcèlement sexiste et harcèlement moral, les fuites ont conduit à l’éviction d’une partie des dirigeants. La réputation dont le management d’Ubisoft s’était servi pour contrer une OPA est en partie ruinée par les agissements répétés de ce même management.

Là encore ce sont les réseaux sociaux qui ont donné le tempo. Ce ne sont pas les plaintes en cours de justice. Ce sont des témoignages récurrents de collaborateurs mécontents dont la parole autrefois muselée reçoit un écho rapide et viral. Un numéro 2 Serge Hascoët limogé, une DRH Cécile Cornet déplacée, là encore le management n’a pas pu résister.

Dans un autre secteur, le risque pour le management a pris une autre forme. Il a été mis en cause, mais la réponse a été beaucoup plus lente.

L’entreprise a vu son management bouleversé, mais pas uniquement remodelé.

Un risque pénal pour les dirigeants

France Télécom est en effet entrée dans l’histoire pénale. Fleuron de la technologie française, elle a créé un précédent et a permis l’émergence de la notion de harcèlement moral institutionnel. Pour la première fois, une entreprise dont le comportement a été mis en cause en raison de faits liés au harcèlement a été condamnée à double titre, celui de personne morale et de personne physique. Chacun des dirigeants, dont la responsabilité a été établie, a été mis en cause personnellement. Cette responsabilité a été reconnue pour la première fois au pénal et la condamnation des dirigeants a été assortie de peines de prison ferme.

L’impunité managériale d’un management déviant et d’un harcèlement avéré n’a plus cours.

La brèche existe et représente dorénavant un risque que les entreprises doivent intégrer.

Outre le traumatisme et l’atteinte à la réputation, c’est un risque personnel que peu de dirigeants sont prêts à assumer. Les dirigeants de France Télécom, Didier Lombard, Louis-Pierre Wenes et Olivier Barberot mis en cause et condamnés en première instance ne l’ont d’ailleurs pas assumé puisqu’ils ont porté leur jugement en appel, ce que n’a pas fait la société France Télécom devenue Orange, personne morale.

Des mesures nécessaires

La mise en cause des dirigeants et des entreprises sur des questions de management et de mauvaise conduite a pris un tournant beaucoup plus dangereux pour l’entreprise. Sans attendre que les fait soient avérés, la parole est libérée et les réseaux permettent ce que l’entreprise n’autorise pas : la mise en cause directe, le témoignage brut. Un témoignage qui incite d’autres collaborateurs à corroborer les faits sans crainte de sanctions interne.

Un Management responsable

Le management plus que jamais est un élément clé du succès de l’entreprise. Les personnes qui exercent ces fonctions doivent incarner les valeurs de l’entreprise, s’en sentir responsables et responsabiliser leurs collaborateurs. Car l’exemple vient d’en haut.

Dans le cas France Télécom, c’est bien la diffusion dans toutes les strates du management de comportements inadmissibles qui a produit des effets désastreux et durables sur l’ensemble des collaborateurs. C’est bien aux dirigeants qu’il incombe de fixer les règles et de les faire respecter.

Or ces règles doivent être écrites : des règles de bonne conduite, des règles de savoir-être qui doivent faire l’objet d’une publication, d’un écrit que chaque collaborateur s’engage à respecter.

Une responsabilité qui doit aussi être assortie de contrôle et d’évaluations à tous les niveaux. Une manière indiscutable d’entériner la notion de responsabilité partagée, engagée dans l’excellence à tous les niveaux, un garant de l’efficacité du système.

Une formation indispensable

Selon une étude de Cadréo en 2019, 40% des cadres n’auraient suivi aucune formation au management en prenant leur poste. Dans cette même étude on constate aussi que les postes de management sont souvent proposés à des collaborateurs qui ne les avaient pas sollicités pour 68% d’entre eux.

La compétence est souvent la grande oubliée des fonctions managériales. Or le management s’apprend et s’entretient. Ce sont des compétences particulières auxquelles il faut attacher une grande considération. Au même titre que les compétences techniques font l’objet d’un suivi et d’une formation continue, les compétences managériales doivent être acquises et entretenues dans le temps.

Trop de collaborateurs sont propulsés sur des fonctions de management qu’ils ont une grande difficulté à assumer. Car le relationnel agréable, l’intelligence et les diplômes ne constituent pas des éléments suffisants. On constate que les problèmes liés à des management déficients sont souvent le fait de managers peu ou pas préparés à assurer leur rôle. Le manager assure l’animation d’une équipe et le management est par nature multiple. Les conditions dans lesquelles il s’exerce, la nature des tâches à réaliser et les populations concernées ne requièrent pas les mêmes techniques.

Dès lors il est inconcevable de juger un manager à l’occasion des entretiens annuels sur les compétences managériales qu’on ne lui a pas donné la possibilité d’acquérir. Il est indispensable de l’aider à optimiser ses compétences en la matière.

Une médiation professionnelle

Un décret du 8 janvier 2019 impose mise en place de référents harcèlement dans les entreprises, mais ce sont des membres élus au sein du CSE, ce ne sont pas des professionnels. Or la médiation est un métier. Ce sont là encore des techniques qui permettent de désamorcer les problèmes. Dans bon nombre de cas les situations pourront être corrigées simplement, sans avoir recours aux procédures internes pour fait de harcèlement, lourdes de conséquences.

Il est important de donner accès à des médiateurs extérieurs à l’entreprise et ce pour tout collaborateur qu’ils soit ou non en position de management.

Ces médiateurs peuvent alors détecter et dénouer des situations qui tiennent principalement de la maladresse et du manque de compétence. Ils sont souvent à même d’aider les collaborateurs à les désamorcer.

Le ministère du travail au Québec a évalué les conséquences particulièrement néfastes des situations de harcèlement au travail. Leurs équipes ont mis en place des campagnes de sensibilisation très efficaces sur ces thèmes en dédramatisant les situations fréquemment rencontrées et en redonnant à chacun la possibilité d’en prendre conscience.

Trop de victimes n’osent pas évoquer leurs problèmes ou le font lorsqu’il est trop tard, lorsque la situation est devenue inextricable.

L’entreprise se doit de réagir avant qu’il ne soit trop tard, il en va de son attractivité, de la qualité de vie de ses collaborateurs, de sa réputation économique et financière, de sa valorisation dans toutes ses composantes.

La gestion des risques évolue. Le risque lié aux problématiques de management devient une composante majeure.

Il met rapidement en cause non seulement la rentabilité de l’entreprise mais aussi et surtout sa réputation dans son ensemble.

Une réputation qu’elle peut construire, alimenter mais qui sera détruite très facilement et très vite par des éléments qu’elle ne peut plus contrôler et sur lesquels les contre-feux habituels n’ont aucune prise.

Les analystes financiers ne s’y trompent pas, ils prennent en compte aussi les composantes qui peuvent altérer la pérennité de l’entreprise, le management et le « savoir-être » sont inclus dans les critères ESG communément admis. Ils seront d’autant plus vigilants que ces critères valorisent ou dévalorisent leurs intérêts à moyen long terme.

Les entreprises doivent désormais concrétiser leurs engagements. Elles seront jugées sur la qualité et la rapidité de la mise en œuvre de ces principes. Le savoir-être est un des critères essentiel à venir.

Patricia Capelle
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