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Le double paradoxe français et le paradoxe européen

1) C’est indiscutablement en France qu’il est le moins désagréable de vivre avec de maigres ressources.

En effet, les minimas sociaux y sont globalement les plus élevés, ce qui ne signifie pas, loin sans faut, qu’ils sont idéalement fixés et appliqués.

C’est en France que l’environnement social est de loin le plus généreux puisque nous y avons développés depuis 50 ans un système d’aide aux plus démunis à tous les niveaux administratifs, c’est-à-dire de la commune jusqu’à l’État.

C’est en France qu’existe également le droit à la santé, à l’éducation le plus ouvert et le plus proche de la gratuité totale à la surface de la planète.

Et c’est en France, également, que l’ensemble de ces avantages sociaux, encore une fois sans doute pas assez généreux pour les plus démunis, sont immédiatement accessibles à tous ceux qui, n’étant pas français, souhaitent vivre en France.

Enfin dans notre pays et dans l’Union Européenne plus généralement, on vit mieux aujourd’hui que durant les années 1960.

Cependant, il est vrai que les comparaisons ne sont plus verticales, l’horizontalité et son lot de jalousie et d’envie ayant tout emporté.

Il suffit d’ajouter la crainte, pas toujours injustifiée, de la peur de l’avenir pour arriver à ce paradoxe que c’est en France que les mécontents – et répétons encore que pour certains d’entre eux ils sont fondés à l’être – sont dans la rue et de surcroît de manière violente alors que là où tant les minimas sociaux, que l’environnement social médical et éducatif est nettement moins généreux, ils restent calmement à leur place n’envahissent pas le domaine public, restreignant ou empêchant leurs concitoyens de circuler librement et, n’imaginent pas de saccager les centres villes.

2) On a coutume de dire, de manière générale, que la France est le pays des Droits de l’Homme.

C’est effectivement en France que les libertés sont garanties historiquement depuis 1789 et constitutionnellement depuis 2008. En effet, depuis lors, chaque citoyen peut revendiquer la Constitution, la Déclaration des Droits de l’Homme ainsi que les droits fondamentaux et principes généraux à l’encontre des législateurs qui chercheraient à les réduire.

Il existe même dans notre arsenal juridique, un droit à la résistance et/ou à l’insurrection dès lors qu’un pouvoir en place le serait illégalement ou illégitimement.

C’est en France que le droit de manifester est totalement acquis.

Cependant, en droit, manifester ne signifie pas casser et encore moins s’insurger contre un pouvoir dont il est indiscutable qu’il est à la fois légal, le Président ayant été élu à pratiquement 2/3 des voies exprimées et ayant à l’Assemblée Nationale une large majorité et légitime politiquement puisque depuis 18 mois il applique le programme pour lequel il est élu.

Donc en vertu de notre socle fondamental qu’est le bloc constitutionnel et le pacte républicain, aucun droit à l’insurrection ne saurait exister dans les circonstances actuelles, car nous ne sommes pas en 1940 !

De surcroît, notre pacte républicain exclut radicalement toute forme de prise de pouvoir ailleurs que dans les urnes tant que la Constitution est appliquée, ce qui est le cas.

Mais il est vrai que c’est en France qu’apparaissent pratiquement une fois par génération, des convulsions sociales et / ou sociétales toujours utilisées, par ceux qui n’aiment pas le principe de majorité du fait qu’ils ont toujours été minoritaires, à des fins politiciennes et non pas politiques car l’intérêt général est radicalement éloigné de leurs préoccupations, n’est-ce pas Madame LE PEN et Messieurs DUPONT-AIGNAN et MELENCHON qui ne cessent de proclamer à des fins purement politiciennes la volonté du peuple alors qu’à eux trois ils ne représentent pas la moitié de ce peuple.

Volonté du peuple, selon eux, de renverser les pouvoirs en place, alors qu’à la base il s’agit d’une révolte, pas injustifiée, contre les taxes et la vie chère.

L’histoire de France est rythmée par les dates de grandes convulsions, allant notamment de la période révolutionnaire à mai 1968 en passant par 1830, 1848, 1871 et encore 1995 sans oublier le boulangisme, les Croix-de-feu, et le poujadisme.

Les politiques qui ont rejoint les gilets jaunes et attisent les conflits, tous admirateurs de Monsieur POUTINE ou de Monsieur MADURO seraient en prison chez l’un ou chez l’autre, du simple fait qu’ils osent proférer des appels à l’insurrection et des incitations à la haine. De surcroît, ils cautionnent le fait – qui est une faiblesse de nos gouvernants- que la plupart des manifestations sont illégales car tenues sans déclaration préalable.

C’est donc dans le pays qui respecte le plus les droits de chacun à manifester pour défendre ses intérêts, que les abus, constitutifs de graves menaces sur la liberté du plus grand nombre, sont pratiqués avec ardeur et que les atteintes aux biens et aux personnes perpétrées lors de ces manifestations (et qu’il convient de qualifier pour ce qu’ils sont, des délits), sont encouragés par des responsables de partis qui, outre d’être complices de ces délits, ont porté atteinte tant à notre système constitutionnel qu’au pacte républicain.

Nonobstant, ils sont célébrés par les chaînes d’informations continues et se targuent d’être des amis du peuple alors qu’ils sont les complices des casseurs.

COMPRENNE QUI POURRA !

3) Ces deux paradoxes français ainsi évoqués ne doivent cependant pas conduire à ignorer la profonde césure qui s’est instaurée dans pratiquement toutes les démocraties avancées à la surface de la planète.

Elle touche aujourd’hui pratiquement tous les États de l’Union Européenne ainsi que les États-Unis. Cette césure provient indiscutablement du choc représenté par les différentes révolutions techniques et technologiques que nous vivons depuis 30 ans, et leur conséquence : une mondialisation non maîtrisée.

L’accès à l’information et à la communication de manière générale a été bouleversé, entrainant d’une part un sentiment de déclassement social et sociétal profond et d’autre part une espèce de revendication d’égalité dans l’expression.

En effet, la tendance est de soutenir que toute information se vaut. Comme dirait Monsieur TRUMP : « face à votre information que je pense mauvaise, je vous donne la mienne ». Celle-là est certes fausse, mais elle est affirmée comme étant de même valeur. La croyance supplée la réalité. Alors que l’on pensait cela impossible depuis le siècle des Lumières !

L’œuvre de la République, issue de ces Lumières, dont on pouvait légitimement être fier, était d’avoir mis en place un système éducatif où chacun avait la possibilité de se développer intellectuellement et d’acquérir les connaissances nécessaires afin de pouvoir exercer sa réflexion personnelle.

Tel n’est plus le cas, le slogan ou l’affirmation remplaçant la réflexion et la complexité de nos sociétés étant écartée d’un revers de la main.

SCHOPENHAUER disait déjà que neuf personnes sur dix ne savaient pas ou ne voulaient pas réfléchir mais dix personnes sur dix avaient des opinions. C’est bien le cas, malheureusement dans cette crise grave que traverse notre pays.

Chacun revendique, affirme, mais ne pense qu’à lui : nul trace d’intérêt général ou de modèle de société à bâtir : on est loin d’un quelconque esprit « révolutionnaire ».

C’est cette situation qui prévaut, je le répète, non seulement en France mais dans la quasi-totalité des pays de l’Union Européenne. Et pourtant après la mise en place, par les Fondateurs des bases de ce qu’est aujourd’hui l’Union Européenne, la génération des baby-boomers n’a pas à rougir de ce qui a été fait depuis la fin des années 1940.

Certes cette génération, à laquelle j’appartiens, n’a pas fait que des choses glorieuses.

Nous avons été – et nous sommes encore -, des grands consuméristes et des ogres dévoreurs de matières premières notamment et nous n’avons pas réussi à modifier profondément la société inégalitaire existante. Cependant c’est durant cette période que d’une part nous avons mis fin à la colonisation et lutté avec un certain succès contre tous les racismes et surtout contre la pauvreté dans le monde. D’autre part, nous avons amplifié et réalisé ce que nos pères ont mis en route dès les années 1950 et avons contribué à faire de ce (petit) sous-continent, l’aire la plus prospère à la surface de la planète et celle où il fait bon vivre pour presque tout le monde et en tous cas, mieux qu’ailleurs.

Nous avons également poursuivi et réalisé ce projet de paix dont nous profitons tous, car c’est bien l’Europe qui a engendré la paix sur ce continent et non l’inverse. Il suffit de voir à cet égard à quel point nous touchent les attentats avec quelques morts et quelques blessés pour en prendre conscience, et le danger que représente un rétablissement de frontière entre les deux Irlandes.

Bref, nous pouvons être fiers de ce modèle européen ainsi que de nos efforts en faveur du développement des pays non européens émergents.

Et nous pouvons être fiers de laisser à nos enfants et petits-enfants un espace de liberté, de sécurité et de bien-être unique au monde.

Bien sûr, les imperfections sont nombreuses. La non résorption des inégalités perdure.

Bien sûr, la mondialisation et les révolutions techniques et technologiques ont laissés un certain nombre, un trop grand nombre, au bord du chemin.

Alors il faut continuer à être volontariste et s’attaquer à la résorption, autant qu’humainement possible, des inégalités, à protéger ceux qui, comme les Canuts de Lyon il y a un siècle, sont convaincus de n’avoir plus d’avenir afin de les aider à en retrouver un.

Mais, malgré ses imperfections, cette Union Européenne est admirée et très attirante pour les non Européens notamment en Asie, en Afrique et ailleurs.

Elle fait tellement d’envieux et de jaloux qu’elle est entrain de devenir l’ennemi des puissants, alors qu’elle est simplement riche, et surement pas puissante…

Or, cette Union Européenne dont le bilan, je le répète, malgré les imperfections, est largement positif, est aujourd’hui « lâchée » par un grand nombre de ses ressortissants et l’idée européenne régresse.

Alors certains se rebiffent en disant : « Si ; je suis européen, mais je ne suis pas partisan de cette Europe-là ».

D’autres ajoutent : « Je suis pour une Europe des Nations ! ».

Allons-y !

Lesquelles ?

  • La nation britannique ? Mais il y a une nation anglaise, une nation écossaise, peut-être galloise, et peut-être irlandaise du nord ?
  • La nation allemande mais il n’y a qu’un peuple allemand.
  • La nation espagnole ? Parlons-en aux Catalans…
  • Et on pourrait multiplier les exemples notamment en pensant à nos amis Belges et Italiens.

Surtout, toutes ces opinions, qui ne reposent sur aucune réflexion profonde et, pire, sur une méconnaissance de l’histoire de l’Union Européenne, sont oublieuses du fait que cette Union Européenne a été créée par les Etats, qui sont devenus les États membres de l’Union Européenne, aujourd’hui dirigée, gérée par ces Etats membres.

La Commission est la gardienne des Traités ; elle ne détermine pas la politique de l’Union Européenne.

L’Union Européenne est une Europe des États, ceux-ci ayant procédé par délégations partielles de souveraineté mais gardant la main sur la gestion de cette souveraineté partielle ainsi déléguée à l’Union.

Il faut bien considérer que le rêve de ceux qui, aujourd’hui, n’aiment plus l’Europe repose presque toujours sur la célèbre formule :

« Le beurre et l’argent du beurre ».

En résumé, de nombreux citoyens européens sont favorables à l’Union lorsque cela les arrange mais veulent s’affranchir des règles – que leur État a adopté au sein du Conseil des ministres !! – quand cela les dérange.

Les mêmes ne considèrent cette Union qu’à l’aune de leurs intérêts et au mépris de l’intérêt général qui commande pourtant, face aux grands défis, d’approfondir cette Union.

Mais, même cela, ce beurre et son argent, – qui était pourtant pratiquement obtenu par nos amis britanniques- ne convenait pas ou plus à une moitié d’entre eux, du moins de ceux qui ont voté !

Le retour aux États souverains signifie, puisque c’était leur apogée, le retour à la fin du XIXème siècle avec les conséquences vécues cruellement au XXème siècle.

COMPRENNE QUI VOUDRA

Jean Pierre SPITZER

Avocat au Barreau de Paris,
Directeur scientifique de l’union des avocats européens,
Membre du bureau du Mouvement Européen

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