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Coupe du monde féminine : de 1970 à nos jours (heureux)

Le triomphe des États-Unis sur les Pays-Bas est venu clôturer une Coupe du monde féminine de la FIFA qui s’avère plus que réussie.

Après l’édition canadienne de 2015, elle confirme son statut d’événement majeur du calendrier mondial. Focus sur l’histoire des compétitions internationales de football féminin, qui n’ont pas attendu l’aval de la FIFA pour exister …

 

1970 – 88 : La Coppa Martini Rosso puis le Mundialito, tournois non-officiels

Le premier tournoi mondial de football féminin se déroule en 1970 sur les terres italiennes. En France, la Fédération Française de Football reconnaissait le football féminin la même année, quand cinq ans plus tôt le magazine France Football reflétait bien l’état d’esprit européen à ce propos. “Toutes les tentatives organisées ne peuvent être vouées qu’à l’échec… à notre avis, le football est réservé aux hommes”, laissait-il paraître dans ses colonnes.

Huit équipes dont une non-européenne (Mexique) sont invitées à cette Coppa Martini Rosso, remportée par le Danemark. Lors de la finale entre les Danoises et les hôtes italiennes, 40.000 personnes sont présentes au Stadio Comunale de Turin. Une belle performance pour une première. Dès lors, l’UEFA préconise que les équipes féminines soient mises sous le contrôle des fédérations nationales dans tous les pays européens.

L’année suivante, une édition est organisée au Mexique, toujours par la marque d’alcool italienne Martini Rossi. Choix esthétique ou malheureuse reproduction de clichés sociétaux, les poteaux des but sont peints en rose et le décor des enceintes est à forte dominante rose. Une chose est sûre, tout est fait pour attirer les familles, y compris les femmes au stade. Comme en 1970, Martini affiche sa confiance et offre le voyage, l’hébergement, les équipements aux joueuses. Au Mexique, le prix des billets varie de 30 à 80 pesos soit entre 1.4€ et 3.7€ et plus de 110.000 spectateurs assistent à la finale de nouveau remportée par le Danemark.

Les prémices intercontinentaux du football féminin manquent de structuration. Bon nombre de pays ne peuvent participer car la pratique féminine n’est pas reconnue par leur fédération nationale. D’autre part, les rencontres s’apparentent plus à des matches de jeunes, puisque certaines joueuses n’ont que 13 ans. Pour l’histoire, l’héroïne de la finale 1971, Susanne Augustesen auteure d’un triplé, n’avait que 15 ans à date.

Par la suite, cinq petites coupes du monde ou “Mundialito” se tiennent entre 1981 et 1988, année du tournant international pour le football féminin. Au cours de cette période l’Italie est la nation phare sur la scène mondiale, avec 5 finales en autant d’éditions. Les Américaines n’atteignent quant à elles qu’une seule fois la finale d’un Mundialito, en 1986.

1988 : la FIFA s’accorde au féminin

Finalement, la FIFA décide de s’engager dans le football féminin. En 1986, lors de la Coupe du monde masculine au Mexique, elle commence à étudier la possibilité de créer une Coupe du monde féminine.

En guise d’expérimentation, elle organise un Tournoi international amical à Guangzhou (Chine) au début du mois de juin 1988. Plus de 45000 personnes font le déplacement pour l’ouverture du tournoi entre Chine et Canada, puis les matches se jouent en moyenne devant 20.000 spectateurs. A la vue du succès notoire, la FIFA confirme l’apparition d’une Coupe du monde féminine.

L’événement prend place pour la première fois en Chine, au mois de novembre 1991. A l’époque, seules 12 équipes sont engagées et les rencontres durent 80 minutes. Pour bien imposer leur patte sur le monde du ballon rond, ce sont les Américaines qui triomphent au bout de deux petites semaines de compétition. Toujours “victime” de son succès, la Coupe du monde féminine de football permet aux footballeuses de rejoindre les hommes aux jeux Olympiques en 1996.

Les fédérations nationales ne portaient que peu d’intérêt à leur sélection féminine. Les moyens alloués étaient dérisoires comparés à ceux attribués aux sélections masculines. Certaines associations nationales semblent contraintes d’aider leur sélection féminine et ne remuent pas ciel et terre pour mettre leurs joueuses dans les meilleures conditions.

Très impliqués dans le football féminin, les pays scandinaves voient leur engagement concrétisé quand la Suède obtient l’organisation de la Coupe du monde 1995. Innovation marquante, le temps-mort est testé sur le principe du basket-ball lors de cette édition suédoise. Une preuve que le football féminin est encore une vaste aire d’expérimentations pour la FIFA, et ce même au cours des Coupes du monde. En effet, le temps-mort fait sa première et dernière apparition cette année-là en Suède…

De douze équipes en 1995, la compétition passe à 16 nations dès 1999. Les États-Unis accueillent et remportent l’édition. Cette dernière édition du XXe siècle marque surtout l’entière féminisation des corps arbitraux qui régissent les rencontres. Le tournoi 1999 bat le record historique d’affluence, avec plus de 1,19 millions de spectateurs au total en seulement 36 matches. “Seulement” oui, car ce record ne tient plus depuis l’édition 2015 qui a réuni 1,3M de personnes dans les stades canadiens, mais qui comportait 52 matches, soit 16 de plus.

Pour l’édition suivante, la Chine est organisatrice mais des risques d’épidémie compromettent le plan et ce sont encore les Américaines qui jouent à domicile. Cette Coupe du monde marque le premier succès d’une nation traditionnelle du football masculin, puisque les Allemandes montent sur le toit du monde. Ces dernières confirment leur arrivée au plus haut niveau dès l’édition suivante, qu’elles remportent en Chine en 2007. La Coupe du monde 2011, qui prend ses quartiers dans le pays de Freud et Goethe, semble être celle du triplé pour la Nationalmannschaft. Pourtant, elles se font surprendre par le Japon, qui ira ensuite s’imposer contre les États-Unis pour soulever le premier trophée mondial d’une nation asiatique, tous genres confondus.

Le virage de la Coupe du monde 2019 … 

Depuis 2011, l’engouement autour de la Coupe du monde croît à grande vitesse.

En France par exemple, les audiences de la Coupe du monde ont fait leur trou dans le classement des chaînes TNT. Entre 2011 et 2015, quatre des dix meilleures audiences hors chaînes historiques (les 6 premières) étaient des matches du mondial féminin : la demi-finale France-USA en 2011, puis 3 rencontres en 2015 dont un pic à 4,1M de téléspectateurs pour le ¼ entre l’Allemagne et les Bleues.

Cet engouement notable a conduit les diffuseurs à parier de plus en plus d’argent sur les épopées de l’Équipe de France. D’une compétition à l’autre, les montants des contrats de retransmission de la Coupe du monde ont changé de dimension. Quand W9 s’acquittait de 850.000€ en 2015, il faut compter 10 millions d’euros pour que TF1 s’octroie l’édition 2019. L’investissement de la chaîne privée est récompensé, puisque son audience moyenne est de 9.3M sur les trois premiers matches des Bleues, diffusés en prime time. L’audience a même connu un pic à près de 12 millions de téléspectateurs lors du 8es de finale France-Brésil, match qui a tout simplement réalisé le meilleur score de l’année 2019 en France, tous programmes et chaînes confondus. Après investissements et résultats, TF1 en a profité pour revoir ses tarifs publicitaires à la hausse. Les 30 secondes de pub lors des mi-temps des Bleues sont passées de 73.000 à 116.000 euros. Cette édition française a rencontré un franc succès avec plus de 1,1 million de billets vendus et 21.000 spectateurs de moyenne par match. Lors des matches des Bleues, les stades étaient d’ailleurs rempli à 96%. De plus, les étrangers sont venus en nombre, représentant près de 40% du total de spectateurs, comme le rappelait le directeur du comité d’organisation de la Coupe du monde, Erwan Le Prévost.

Et si le public est au rendez-vous, cela se traduit par une mise en pratique qui s’accélère.

Actuellement, près de 30 millions de pratiquantes sont recensées dans le monde par la FIFA. On évoque un total de 15 à 16 millions de joueuses issues d’Amérique du Nord, soit plus de la moitié. Le “soccer” féminin, comme on l’appelle en Amérique du Nord, jouit d’un développement très avancé au Canada et aux États-Unis par rapport au niveau global dans le monde. Si le “soccer” est très développé aux États-Unis, c’est en grande partie grâce à un amendement de 1972 qui garantit des ressources égales pour le sport universitaire pour les femmes et pour les hommes. Ailleurs dans le monde, on constate d’énormes disparités dans la pratique et dans l’encadrement du football féminin.

Ainsi, quand les garçons se dirigent vers le football américain, les filles investissent dans le soccer. S’ensuivent des progressions de performance, d’études, de popularité et donc du nombre de pratiquantes.

Ces éléments expliquent l’implication couplée à la domination des États-Unis sur la scène internationale. Elles détiennent désormais 4 titres en huit Coupes du monde. Quand le Brésil, l’Allemagne ou l’Espagne dominent chez les hommes, ce sont donc les États-Unis notamment qui surplombent le monde du football féminin.

Ce sujet d’égalité homme-femme est à l’ordre du jour outre-Atlantique depuis plusieurs années. Les motivations sont plutôt économiques, puisque les marques et commanditaires se rendent de plus en plus compte que le marché féminin du sport s’avère toujours plus lucratif et reste encore à conquérir. La FIFA tend à développer la pratique féminine d’une part, mais aussi à exploiter de nouveaux marchés sur lesquels veulent s’implanter ses partenaires commerciaux.

Pour une fois, ne condamnons pas cette situation. A l’inverse, réjouissons-nous que le monde des affaires aide à réduire l’écart qui subsiste entre footballeurs et footballeuses.

Certes la proportion des revenus générés distribuée au vainqueur est plus importante pour les femmes que les hommes. Cependant, développement rimant avec investissement, la FIFA profite de la marge qu’elle dégage sur la compétition masculine pour attribuer plus de dotations aux sélections féminines, qui pourront déployer davantage de moyens pour structurer la pratique dans leur pays.

Mais si l’on reprend l’exemple américain, on se rend compte que les investissements réalisés dans le football féminin portent leurs fruits. En effet, la sélection nationale féminine génère de meilleurs revenus que son homologue masculin d’après le Wall Street Journal. Entre 2016 et 2018, les matches de l’USWNT ont rapporté 45.3 millions d’euros à la fédération américaine tandis que ceux des hommes ont généré 44.5M€. Cette observation confirme bien que les résultats suivent l’investissement.

Fédérations et commanditaires commerciaux doivent unir leurs efforts afin de continuer à solidifier la pratique féminine et à en faire un sport majeur viable à l’international.

Dans cette logique mi-égalitaire mi-économique, le géant de l’équipement sportif Nike s’est mis au diapason. Il propose et commercialise pour la première fois des maillots de football au modèle féminin, dont sont vêtues les joueuses des équipes de France et des États-Unis tout au long du Mondial 2019. Là encore, c’est un pari gagnant pour la marque à la virgule. En effet, le PDG de Nike, Mark Price, annonçait fin juin que le maillot domicile de la Team USA féminine était devenu le plus vendu de l’histoire du site nike.com sur une saison entière.

… des inégalités qui restent marquées

Toutefois, nous sommes encore loin d’une harmonisation des points de vue vis-à-vis du football féminin. Du côté des clubs, nous avons récemment appris que l’ensemble des joueuses évoluant dans les sept meilleures ligues du monde gagnait deux fois moins d’argent que Lionel Messi à lui seul. Ainsi, 1693 joueuses combinent 42.6M$ annuels quand l’Argentin perçoit plus de 84M$ (bonus compris) chaque année. Une illustration du gouffre financier qui sépare les hommes et les femmes dans le football.

En plus de la progression qu’il reste à faire sur le plan salarial, la FIFA a pour but de doubler le nombre de pratiquantes d’ici à 2026, comme l’a annoncé son président Gianni Infantino. Elle s’y est attelée dès 2016, avec la présentation de son plan « FIFA 2.0 : Une vision pour le futur” qui dépasse là, la simple pratique du football. En effet, elle vise également à augmenter la féminisation des instances qui régissent le monde du ballon rond.

Comme le montre ce tableau, tiré d’une étude de la FIFA sur le football féminin, les femmes représentaient 8% des dirigeants présents dans les comités exécutifs nationaux en 2014. Un besoin pressant de remise à niveau se fait sentir pour accompagner le développement de la pratique. Il semble évident que l’un ne puisse s’effectuer sans l’autre. La FIFA elle-même concède dans son rapport qu’il faut “fournir davantage d’opportunités aux femmes dans le football, à tous les niveaux.

 

Entre fédérations, sponsors et médias, les acteurs du sport business international ont les armes pour élever le niveau d’impact du football féminin. Cette Coupe du monde 2019 marque définitivement un tournant dans l’évolution de la pratique et du regard porté sur celle-ci.

 

Valentin Nonorgue
Observatoire du Sport Business

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